samedi 14 novembre 2020

La vérité, par Richard Andrzejewski

Lorsque Pilate se vit contraint d'examiner le "dossier" Jésus de Nazareth, il voulut d'abord s'assurer que l'inculpé n'était pas un agitateur politique susceptible de nuire à l'empereur. C'est pourquoi il lui posa d'emblée cette question: Es-tu le roi des Juifs? Jésus répondit que Son royaume n'avait rien à voir avec ce monde. Sans très bien comprendre de quel royaume Il voulait parler, Pilate lui dit: "Ainsi donc, Tu es roi". 


Jésus devait lui paraître un rêveur inoffensif qui prenait ses chimères pour des réalités. Jésus lui répondit avec majesté: "Tu l'as dit, Je suis roi. Je suis né, et Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute Ma voix". Pilate lui dit: Qu'est-ce que la vérité? Le Romain avait entendu parler d'opinions politiques et religieuses plus ou moins accréditées. Ce n'était pas la première fois qu'il rencontrait un sage qui prétendait détenir les clés de la vérité. Mais la vérité, qu'est-ce que c'était? Qui donc la connaissait? Y avait-il même une vérité? Et après avoir posé cette question désabusée, il sortit.

Lorsque nous lisons ce passage de l'évangile de Jean, il nous est très facile de nous mettre à la place de Pilate. Nous pouvons même dire qu'il y a dans son attitude un reflet de notre âme. Car lequel d'entre nous n'a pas déjà posé cette question, d'une manière ou d'une autre, sous une forme ou sous une autre? Que ce soit par cynisme, que ce soit par désespoir, ou par scepticisme, ou même par esprit de recherche, nous avons tous déjà demandé: Qu'est-ce que la vérité? Où est la vérité? Qui connaît la vérité? En effet, dans la question de Pilate, il y a toute l'incertitude amère des hommes. Et ici, nous touchons au cœur du problème. Car le drame de l'homme de tous les temps, c'est son inquiétude en face des incertitudes de la vie, en face des grandes questions que posent son existence, et qui demeurent sans réponse véritable. Il ne possède qu'une seule certitude; celle de la mort.  Et c'est là sa plus grande angoisse, même s'il ne veut pas se l'avouer. Alors, à quoi va-t-il s'accrocher? Sur quoi va-t-il s'appuyer? Dans quelle direction va-t-il orienter sa vie? Car c'est là la force essentielle de la vérité. 

Le mot vérité désigne ce qui est fixe, inébranlable, quelque chose de définitif, qui suggère la constance, la fidélité et la loyauté. C'est le contraire de ce qui est variable, capricieux, changeant. C'est surtout le contraire de l'hypocrisie, de la fausseté et du mensonge. La vérité fait naître dans le cœur de celui qui la rencontre deux sentiments rares et précieux: la confiance, et la sécurité. Mais dans quel milieu l'homme doit-il vivre? Autour de lui, les hommes portent un masque. Ils ne font que paraitre au lieu d'être. Et ce qu'ils sont en réalité, pour ne pas dire, "en vérité", est loin d'inspirer confiance et sécurité. L'apôtre Paul brosse un tableau sombre de l'humanité; extraordinairement révélateur. On dirait que son projecteur est braqué sur notre vingtième siècle. Il dénonce l'égoïsme des hommes; leur soif d'argent; leur orgueil. Il les décrit : rebelles, ingrats, irréligieux, insensibles et cruels, emportés, hautains, aimant les plaisirs plus que Dieu; ayant l'apparence de la piété, mais reniant ce qui en fait la force. Ce n'est certes pas là le règne de la vérité. 

Alors, il interroge la science. Mais n'est-elle pas elle-même tâtonnement et expérimentation? Jean Rostand écrit à cet égard: "Que sommes-nous? Qu'est-ce que l'homme? Que représente-il dans l'ensemble des choses? Qu'est-ce qu'une vie humaine? Qu'est-ce qui s'efface de l'Univers quand périt un individu? Je n'hésiterais pas à dire que s'agissant de ses problèmes, j'aurai traversé l'existence dans un état d'incompréhension effarée. Les indications maigres et clairsemées que la science peut nous fournir à cet égard composent un étrange tableau à la Rembrandt, ou quelques flaques de lumières ne font que mieux accuser la superficie des noirceurs".

La science n'est donc pas la solution. Pas plus que la politique ou la philosophie qui sont autant de labyrinthes inextricables et désespérants. Il arrive alors que l'homme se fabrique sa propre vérité. Il évite de penser à l'inévitable. Il se trace une ligne de conduite approximative, qu'il modifiera à loisir, et il finit par s'étourdir dans le travail ou dans le plaisir. Il arrive aussi, et c'est le cas le plus fréquent, qu'il se réfugie dans une carapace d'indifférence et de fatalisme. Après avoir été trompé par les autres, il finit par se tromper lui-même par de faux raisonnements. Je ne sais plus qui a dit: "Si je déployais autant de fourberie à tromper les autres que pour me tromper moi-même, je serais le dernier des scélérats". 

Ainsi, après avoir consulté les autres, après avoir interrogé la science, après s'être finalement réfugié en lui-même, l'homme enregistre un échec sur toute la ligne, dans sa recherche de la vérité. Il lui reste cependant un espoir. C'est examiner ne serait-ce qu'une fois, mais très sérieusement, très loyalement, très objectivement les affirmations d'un certain Jésus de Nazareth. Je suis venu comme une lumière dans le monde afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort. Ne vous étonnez pas de cela, car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et en sortiront. Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement. Que votre cœur ne se trouble point; croyez en Dieu, et croyez en moi. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père, si cela n'était pas je vous l'aurais dit. Je vais vous préparer une place, et lorsque je m'en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. 

Quel sort l'homme réservera-il à ces déclarations stupéfiantes? Quelle sera notre attitude à leur égard? Car elles s'adressent à chacun de nous. Elles nous concernent tous directement. Nous pouvons comme beaucoup raisonner de telle sorte que ces paroles ne nous atteignent pas. Mais supposons un instant que Jésus ait dit la vérité. Si c'était vrai tout ce qu'il a dit; tout ce qu'il a promis? 
Je suis le chemin. C'est une direction. Une orientation, un itinéraire. Une progression, un but. 
Je suis la vérité. C'est une certitude. Un Roc. Une doctrine qui vaut la peine qu'on s'y attache. 
Je suis la vie. C'est toute l'existence, présente et future. 

Rien ne manque. Tout est là pour satisfaire aux besoins les plus profonds de chacun de nous. Il l'a dit lui-même: Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. Et si c'était vrai? Par notre attitude indifférente et rebelle, nous le traitons comme s'il était un affreux menteur. Un trompeur. Un séducteur de petites gens. Mais ceux qui l'ont connu, ceux qui l'ont vu, ceux qui l'ont entendu ont témoigné qu'il n'y avait en Lui aucune fourberie, aucune fraude, aucune duplicité. Ils sont allés mourir pour Lui, car ils savaient que ce qu'Il avait dit était la vérité. Ils sont morts en toute sécurité et en toute confiance. Dans l'Évangile, Il se présente à nous comme le vrai pain venu du ciel. Comme le vrai cep. Le témoin fidèle et véritable de l'Apocalypse, c'est Lui. Ne commence-t-il pas la plupart de ses discours par une expression qui le caractérise: En vérité, en vérité, je vous le dis. 

La vérité est donc venue de Dieu. Elle ne pouvait pas venir de l'homme car elle ne réside pas en lui. Mais les hommes ne se sentent pas attirés par cette vérité-là; ils préfèrent leur vérité à eux, plus confortable, plus accommodante, qui les conduira de ténèbres en ténèbres. Il faut renier tout orgueil pour prier comme David: "conduis-moi dans Ta vérité". Les solutions que propose le Christ paraissent trop simplistes à nos esprits intoxiqués d'intellectualisme, et nous répugnons à passer par l'humble petite porte de la sagesse qui mène à la vérité en Christ. Plus nous touchons au sublime, au divin, à l'inexplicable, plus nous avons besoin de posséder cette science des saints: la simplicité. 

Le fait est que Jésus nous a laissé un message au sujet duquel il a tenu à nous dire: "je n'ai point parlé de moi-même, mais le Père qui m'a envoyé m'a prescrit lui-même ce que je dois dire et annoncer. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. C'est pourquoi les choses que je dis, je les dis comme le Père me les a dites. Je vous ai dit la vérité que j'ai entendu de Dieu. Lorsque Jésus pria son Père en faveur de ses disciples, il dit: Sanctifie-les par Ta vérité, Ta parole est la vérité. Voilà la réponse définitive à la question de tous les Pilate que nous sommes. Ta parole est la vérité. Mais non pas une vérité abstraite et philosophique. Il s'agit d'une vie qui nous pénètre. Pierre dit qu'elle est vivante et permanente. C'est un chemin que nous pouvons suivre fidèlement, avec confiance et sécurité. C'est le Roc sur lequel nous pouvons bâtir notre maison. Tout le reste n'est que sable, voué à la ruine à plus ou moins longue échéance. Le ciel et la terre passeront, à dit Jésus, mais la parole de Dieu demeure éternellement. 

Puissions-nous tous retrouver cette sagesse élémentaire que possédait David lorsqu'il chantait: Combien j'aime Ta loi, elle est tout le jour l'objet de ma méditation. Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon sentier. 

Par Richard Andrzejewski

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