vendredi 23 juin 2017

Une réponse de John Bunyan(1628-1688) à l'évangile moderne

Un avertissement (de plus) à ne jamais croire que la piété est une source de gain matériel...

Messieurs Intérêt-Personnel, Ami-du-Monde, Ami-de l'Argent et Accapare-Tout marchent ensemble sur le sentier menant à la cité céleste. Devant eux marchent Chrétien et Plein-d'Espoir. Tous ont un point en commun: ils prétendent être religieux ou chrétien. Certains sont réellement chrétiens, les autres sont des menteurs. 

Nous les rejoignons dans leur marche alors que Monsieur Ami-de-l'Argent demande à Monsieur Intérêt-Personnel: Qui sont ces gens qui marchent là, devant nous? 
- Ce sont deux citoyens d'un même pays qui font un pèlerinage à leur manière, 
- Pourquoi ne nous ont-ils pas attendu, afin que nous puissions jouir de leur compagnie? Car je pense qu'eux et nous, et vous aussi, Monsieur, faisons le même voyage. 
- C'est vrai, mais ces pèlerins qui marchent devant nous sont si rigides, si attachés à leurs propres opinions, ils estiment si peu celles des autres que dès qu'un homme, si bon soit-il, ne pense pas exactement comme eux, ils se séparent de lui.
- C'est mal, dit Accapare-Tout; mais j'ai lu quelque part qu'il existe des hommes "justes à l'excès". Leur sévérité les porte à juger et à condamner tout le monde sauf eux-mêmes. Mais dites-moi, je vous prie, sur quels points différiez-vous d'opinion? 
- Eh bien, ils considèrent que d'après leurs principes, ils doivent poursuivre leur voyage par tous les temps, et moi je trouve qu'il faut s'inquiéter du vent et de la marée. Ils risquent tout ce qu'ils possèdent pour Dieu, et je trouve qu'il faut assurer sa vie et sa position. Ils maintiennent leur opinion, lors même que le monde entier serait contre eux; mais je trouve qu'il faut avoir juste autant de religion que l'époque, le temps et et notre avantage le permettent. Ils restent fidèle à la piété lorsqu'elle est exposée à l'opprobre et aux injures, tandis que j'aime la religion lorsqu'elle est honorée et applaudie. 
- Tenez-vous ferme dans vos principes, cher Monsieur, dit Ami-du-Monde. Pour ma part, je considère comme fou, celui qui, ayant la liberté de conserver ce qu'il a, est assez insensé pour le perdre. Soyons "prudents comme des serpents;" il faut "moissonner pendant que le soleil brille!" Vous avez remarqué comme l'abeille demeure tranquille en hiver, et ne butine que lorsqu'elle peut en retirer profit et plaisir. Dieu lui-même envoie tantôt la pluie, tantôt le soleil; s'il est des hommes assez stupides pour voyager par la pluie, qu'ils le fassent; mais nous, nous attendrons le beau temps! Pour moi, j'aime la religion qui s'accorde avec la possession des biens que Dieu nous octroie, car quel est l'être raisonnable qui prétendrait que Dieu ne veut pas que nous conservions, pour l'amour de lui, les biens qu'il nous a départis? Abraham et Salomon étaient riches, et Job a dit que l'homme juste "amasse l'or comme la poussière." Mais ce ne doit pas être le cas de ces hommes qui marchent devant nous, s'ils sont tels que vous les avez décrits. 
- Je crois que nous sommes tous d'accords sur ces sujets; il est donc inutile d'en parler davantage, dit Accapare-Tout. 
- Non, il n'y a plus rien à ajouter, car celui qui ne suit ni l'Écriture, ni sa raison - et vous avez remarqué que toutes deux sont pour nous - méconnaît sa liberté et ne recherche pas sa propre sécurité, dit Ami-de-l'Argent. 

- Mes frères, dit Intérêt-Personnel, nous faisons tous le même pèlerinage; permettez-moi, comme diversion, de vous proposer de résoudre cette question: Supposez qu'un homme, pasteur, commerçant, ou autre, trouve l'occasion d'acquérir les biens de ce monde, mais qu'il ne puisse les obtenir qu'en devenant, au moins en apparence, très zélé sur certains points de doctrine qu'il n'avait pas professé jusqu'alors,  ne pourrait-il pas atteindre son but, et être cependant un homme tout à fait honnête?
- Je comprends parfaitement votre question, dit Ami-de-l'Argent, et si ces messieurs me le permettent, j'essaierai de vous donner une réponse exacte. Et tout d'abord, parlons du pasteur. Supposons donc, qu'un pasteur, très digne homme, ait un très petit revenu, et qu'il se présente, pour lui, un poste plus avantageux, qu'il pourrait obtenir à condition d'être plus zélé, de prêcher plus fréquemment, et à cause du caractère de son troupeau, de renoncer à quelques-uns de ses principes. Je ne vois, pour ma part, aucune raison qui pourrait l'empêcher d'accepter ce poste, tout en restant un honnête homme. 
Car; 1- son désir d'avoir un plus fort revenu est légitime; il ne peut en douter puisque la Providence le lui offre. Il peut donc accepter cette place plus avantageuse sans en faire un cas de conscience. 
2- Le fait d'accepter ce poste le rendra plus zélé, plus studieux, et le développera ainsi spirituellement, ce qui ne peut qu'être agréable à Dieu.
3- En s'accommodant au caractère de son troupeau pour mieux le servir, même s'il doit, pour cela, abandonner quelques uns de ses principes, il fait preuve d'abnégation, de dévouement; il se fait tout à tous, ce qui est un précepte apostolique. 
4- Je conclus donc qu'un pasteur qui abandonne un poste modeste pour un plus avantageux, ne doit pas être accusé de cupidité; au contraire, son influence étant plus étendue, il aura plus d'occasions de faire le bien en saisissant l'avantage qui se présente à lui. 

Et si nous considérons que la question s'applique à un commerçant, je répondrais: supposons un négociant ayant un emploi peu rétribué et qui, en pratiquant davantage la religion, pourrait améliorer sa position, car il trouverait ainsi l'occasion d'épouser une femme riche, ou attirerait plus de clients dans son magasin. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas légitimement agir ainsi. 
Car: 1- Devenir religieux, c'est une vertu, quelque soit le mobile qui le pousse à l'être.
2- Il n'est pas défendu d'épouser une femme riche, ou d'attirer des clients dans son magasin.
3- Celui qui obtient ces avantages en devenant religieux, les acquiert de personnes qui sont bonnes et devient bon lui-même. Donc, obtenir une femme riche, de bons clients, et un bon gain en devenant religieux, est chose bonne et permise. 

Cette réponse de Monsieur Ami-de-l'Argent à Monsieur Intérêt-Personnel, fut applaudie de tous. Et comme ils s'imaginaient que personne ne pouvait la contredire, et que Chrétien et Plein-d'Espoir étaient encore à leur portée, ils les appelèrent, afin de leur poser la question et de les confondre par cette réponse, pour les punir de s'être opposés auparavant à Monsieur Intérêt-Personnel. 

Entendant leur appel, Chrétien et Plein-d'Espoir s'arrêtèrent et les attendirent.
Les autres résolurent entre eux, tout en marchant, que ce ne serait pas Monsieur Intérêt-Personnel qui leur poserait la question, mais le vénérable Monsieur Ami-du-Monde, afin que les pèlerins ne fassent pas une réponse aussi vive que celle qu'ils avaient adressée à Monsieur Intérêt-Personnel avant de le quitter. Ils les rejoignirent donc, et après les salutations d'usage, Monsieur Ami-du-Monde leur posa la question en leur demandant d'y répondre s'ils le pouvaient. 
- Le plus jeune enfant dans la foi serait capable de répondre, dit Chrétien, à dix milles questions semblables. Car s'il est déjà mal de suivre Christ pour du pain (Jean 6:26) comme il est écrit, à plus forte raison est-il abominable de faire de lui, et de la religion, un prétexte pour obtenir des avantages matériels et mondains. Aussi, une semblable opinion ne peut être soutenue que par des païens, des hypocrites, des démons ou des magiciens. 
1- Par des païens, car lorsque Hémor et Sichem, convoitant les filles et les troupeaux de Jacob, virent qu'il n'y avait pas d'autre moyen de les obtenir que de se faire circoncire, ils dirent à leurs compagnons: "Si tout mâle parmi nous se fait circoncire, comme ils sont eux-même circoncis, leurs filles et leurs troupeaux, leurs biens et tout leur bétail ne serait-il pas à nous?" Leurs filles et leurs troupeaux, voilà ce qu'ils voulaient obtenir, et la pratique religieuse de la circoncision n'était que le prétexte dont ils se servaient pour y parvenir. Lisez toute l'histoire (Genèse 34:20-26). 
2- Par des hypocrites. Voyez les pharisiens. Ils faisaient, pour l'apparence, de longues prières, mais ils dévoraient les maisons des veuves et cela aggravait leur condamnation devant Dieu (Luc 20:40-47).
3- Par les démons. Judas suivait les mêmes principes. Il était disciple de Jésus pour porter la bourse, mais en réalité, il était un fils de perdition. 
4- Par des magiciens. Simon le magiciens voulut obtenir le Saint-Esprit avec de l'argent, mais son jugement sortit de la bouche de l'apôtre Pierre: "Que ton argent périsse avec toi" (Actes 8:19-20). 

Je ne peux m'empêcher de penser que ceux qui deviennent religieux par amour du monde peuvent aussi facilement renoncer à la religion pour le même motif. Ainsi, Judas, qui suivait Christ tout en aimant l'argent, vendit son maître pour en acquérir. Répondre affirmativement à votre question, comme je vois que vous l'avez fait, et accepter cette réponse, ce ne peut être que païens, hypocrite et diabolique, votre salaire sera d'accord avec vos œuvres. 

A ces mots, les quatre amis se regardèrent longuement les uns les autres, mais ils ne trouvèrent rien à répondre à Chrétien. Plein d'Espoir approuva la réponse de son ami, puis il se fit un grand silence. Monsieur Intérêt-Personnel et ses compagnons restèrent en arrière, tandis que Chrétien et Plein d'Espoir, poursuivant leur route, les devancèrent. Alors Chrétien dit à son compagnon: "Si ces hommes ont la bouche fermée devant le jugement d'un de leurs semblables, comment subsisteront-ils devant le jugement de Dieu? Et s'ils sont muets devant un vase de terre, quelle sera leur attitude quand ils seront exposés au feu dévorant de la colère divine?" 

Par John Bunyan

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