samedi 23 décembre 2017

Pas de place pour lui, par Richard Andrzejewski

Deux voyageurs, arrivent sur les hauteurs de la Judée, dans la ville de Bethléem. Ils viennent de Nazareth. C'est dire qu'ils ont parcouru près de cent kilomètres, ce qui représente trois à quatre journées de marches. Les derniers rayons du soleil illuminent la belle ville de David, assise comme une reine sur les sommets d'une colline. Un édit impérial ayant prescrit un recensement général de la population; chacun doit se faire inscrire à la cité où sa famille est originaire. C'est ce qui explique la présence de Marie et de Joseph à Bethléem, avec une foule d'autres Juifs qui, comme eux, cherchent un abri pour la nuit. Évidemment, les maisons regorgent de monde, ainsi que l’hôtellerie, et il n'y a plus de place. Alors on se hâte de trouver un abri, ne fut-ce qu'un abri de berger, dans les environs immédiats. Et c'est là que naîtra celui que l'ange avait annoncé à sa mère comme le Saint, le Fils de Dieu, le Sauveur de tout un peuple. 

Ce fait, le plus important de l'histoire, l'Évangile le raconte en deux mots sublimes de simplicité, comme s'il s'agissait du dernier des Bethléemites. Or, pendant qu'ils étaient là, le temps où elle devait enfanter se trouva révolu. Elle mit au monde son fils premier-né, l'enveloppa de lange, et le coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux à l'hôtellerie. Cette dernière phrase est sans doute la note la plus triste de tout ce passage; "parce qu'il n'y avait pas de place pour eux à l'hôtellerie". Il est évident que l'hôtelier était loin de supposer qu'il venait de refuser l'asile au Messie de son peuple, au Roi des rois. A ses yeux, c'était des gens comme les autres. Les premiers arrivés avaient été les premiers servis. En effet, tout cela présente l'aspect d'un incident tout à fait ordinaire, tout à fait banal. Mais ce qui est plus grave, c'est le fait que cet incident se reproduisit et se reproduit encore, et cette fois, en toute connaissance de cause. Car, cette hôtellerie de Bethléem est devenu le symbole de chaque cœur humain qui a jamais battu depuis cette nuit-là. Le cœur de l'homme abrite toutes sortes d'invités, qui s'y trouvent bien. Tellement bien, qu'ils se trouvent tout disposés à devenir des locataires permanents. Toutes les chambres sont occupées. Et lorsque frappe à la porte le seul qui pourrait enrichir vraiment l’hôtelier, il a la folie de dire qu'il n'y a plus de place. Alors au lieu de lui ouvrir la porte de sa maison, il l'envoie à l'étable. 

On peut dire que c'est là l'histoire tragique de Jésus de Nazareth, qui est allé et qui va encore de cœur en cœur, pour essayer de trouver une place. Nous ne voulons pas ici verser dans le sentimentalisme. Nous n'essayons que de présenter la vérité dans toute sa pitié en dénonçant la folie et l'égarement de l'homme qui s'attache au superflu et qui dédaigne l'essentiel. La prophétie d'Esaïe avait déjà annoncé ces hommes qui le méprisent, qui l'abandonnent, qui font de Lui un habitué à la souffrance. Car, on détourne de Lui le visage, car on le dédaigne, car on ne fait de Lui aucun cas. De même dans son évangile, l'apôtre Jean déclare que Jésus est venu comme la lumière du monde, mais le monde ne l'a point connu. Elle est venue chez les siens mais les siens ne l'ont point reçu. 

Depuis que le monde est monde, il n'y a jamais eu en lui la moindre place pour son Créateur, du moins, parmi les créatures intelligentes qui l'habitent. Telle est la lamentable vérité. Dieu est exclu du monde. Il est, en quelque sorte, comme un exilé. Les hommes l'ont d'abord exclu de ce qu'ils considèrent comme leur nourriture intellectuelle. Ils sont devenus des conquérants et des maîtres en ce monde. Ou du moins, ils veulent s'en donner l'impression. Ils veulent tout gouverner selon leurs propres lois, selon leur raisonnement et leur intelligence. Mais parlez leur de Dieu et de Ses lois, de la mort et du jugement, et ils vous répondent avec une ironie et un mépris très poli: "nous vous entendrons là-dessus une autre fois". Mais le jugement de Dieu est déjà prononcé contre cette attitude insensée qui a détrônée Dieu et intronisée la science de l'homme. L'apôtre Paul, l'un des plus grand esprit de son temps, a écrit: le langage de la croix est une folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est une puissance de Dieu, car il est écrit: "Je détruirai, la sagesse des sages, et j'anéantirai l'intelligence des intelligents". Où est-il, le sage? Où est-il, l'homme cultivé? Où est-il, le raisonneur d'ici bas? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde? Chers amis, ce sont là des paroles graves, et saisissantes. Elles établissent une distinction entre les hommes par rapport à leur attitude à l'égard du Christ. Loin de mépriser le savoir, loin de condamner la poursuite du savoir, l'apôtre Paul dénonce plutôt l'égarement de ceux qui, par leur intelligence et leur science, se sont cru le droit de faire abstraction de Dieu. Selon les mots du psalmiste: "ils finiront par tomber dans la fosse qu'ils ont creusé". L'apôtre Paul dira, avec la flamme qui le caractérise, lorsqu'il aborde cette question : "Se vantant d'être sages, ils sont devenus fous". N'est-ce pas en pensant à cette intoxication intellectuelle que Jésus nous recommande de redevenir comme des petits enfants, pour avoir part au Royaume? 

Dieu est aussi exclu de ce que l'homme considère comme "ses besoins spirituels". La suffisance intellectuelle de l'homme a envahi et empoisonné jusqu'à son esprit, car là non plus, il n'y a plus de place pour Dieu. En réalité, on n'a plus besoin de Lui. On s'en sert comme un pilote se sert de son parachute; uniquement en cas d'urgence. Lorsque dans Sa parole, Dieu leur parle de péché, ils se demandent honnêtement et avec une certaine pointe de vexation, de quels péchés ils sont coupables. Car en réalité, ils ne se sentent coupables de rien. Ils ne se rendent pas compte que le Seigneur leur a remis une dette énorme, et ils se comportent comme si c'était Lui qui leur devait quelque chose. En l’occurrence: bénédictions, et salut. Les mots "pardon"; "rançon"; "grâce" et "réconciliation" ne font plus partie de leur vocabulaire spirituel. Ils n'ont plus de sens. Cependant, on Lui construit des cathédrales et des temples imposants. C'est là une expression de la piété des hommes, nous dit-on. "Voici la maison que nous t'avons construite, oh Jésus de Nazareth, Seigneur de gloire". Et si le cœur écoutait à ce moment-là, il entendrait la réponse du Seigneur: "Où dites-vous que je dois demeurer? Ne savez-vous pas que le Seigneur du ciel et de la terre n'habite point dans des temples faits de mains d'hommes? Ce que je veux, c'est ton cœur qui me demeure obstinément fermé". C'est ainsi que nous pouvons constater que Dieu est parfois exclu de la vie religieuse même. C'est la vie froide et vide des chrétiens du dimanche, pour qui la religion ne consiste qu'en rites et en cérémonies. 

Mais il y a plus grave encore. Lorsque les fondements mêmes de cette religion constituent une alliance contre-nature entre les traditions et les doctrines d'une part, et la parole de Dieu d'autre part. Le Christ a condamné cette anomalie de la manière la plus sévère. En outre, l'apôtre Jean n'a t-il pas écrit en toute clarté: "Celui qui va plus loin et ne demeure pas dans la doctrine de Christ n'a point Dieu" Celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils". Et où se trouve cette doctrine du Christ, sinon dans la Bible qu'on appelle à juste raison, les Écritures Saintes? 

Enfin, il faut le dire, Dieu est exclu de notre vie quotidienne. L'homme moderne est un homme pressé. Sa vie est déjà remplie d'une foule de préoccupation qui gravitent autour de sa propre personne. Il est souvent encombré par des inquiétudes. Il y a aussi ses moments et ses projets de joie qui occupent beaucoup de temps, beaucoup de place. Et le Seigneur est là, qui voudrait lui donner quelque chose, mais il a déjà les mains pleines. Lorsqu'il frappe à sa porte: "Excusez-moi, je n'ai pas le temps, il n'y a pas de place". Ou alors, la place est si petite, (car il faut bien donner l'impression qu'on est tant soit peu croyant) la place est si petite, qu'elle ressemble à un réduit. Le plus souvent, on dit: "Allez donc voir ailleurs". Mais dans tout cela, il est une chose qu'il ne faut jamais oublier: "Écoutez, voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix, et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui, avec moi". 

Ainsi, voilà l'image humiliée, aimante, suppliante de notre Seigneur devant la porte de notre cœur, qui mendie notre hospitalité. Et il trouve porte close. Alors il frappe. Il s'annonce souvent par de nombreuses bénédictions; celles aussi banales que la santé et le toit; le pain quotidien. Elles cessent cependant d'être banales lorsqu'elles viennent à manquer. C'est pourquoi sa manière de frapper à la porte est parfois un avertissement. Une épreuve. L'un des personnages de Michel de Saint-Pierre, le marquis de Maubrun, homme pétrit d'orgueil, vient de perdre un de ses fils préféré. Il a failli en perdre un autre dans un accident stupide. Et l'auteur fait dire au père ainsi ébranlé: "Dieu m'a frappé fort". Il avait entendu et compris l'avertissement de Dieu. D'aucun diront peut-être: Pourquoi l'Esprit de Dieu n'entre-il pas où il veut? N'est-il pas assez fort pour forcer tout barrage, pour réduire toute volonté, pour aplanir tout obstacle s'opposant à sa volonté? Oui, bien sûr. Mais dans ce cas, il serait l'indésirable; l'indésiré; le tyran qui impose sa loi. C'est pourquoi il préfère rester là jusqu'à ce que j'ouvre. Il préfère frapper jusqu'à ce que je l'entende. Il préfère me parler jusqu'à ce que je réponde et que je l'invite librement, affectueusement. 

Avant de présenter au public son célèbre tableau représentant le Christ frappant à une lourde porte, le peintre William Hunt le montra à son plus cher ami. Ce dernier examina d'un œil critique, et visiblement admiratif, tous les détails de l'oeuvre; la masse imposante et rébarbative de la porte; le tendre lière qui envahissait l'entrée... Soudain, il s'exclama: "Hunt, vous avez fait une erreur. Ici". "Laquelle", demanda l'artiste. "Vous avez peint cette porte sans poignée". "Ce n'est pas une erreur", dit gravement le peintre. "Cette porte là n'a pas de poignée à l'extérieur. Elle se trouve en dedans". 

L'âme qui enfin lui ouvre la porte, c'est celle qui est prête à suivre sa loi jusqu'au bout. Toute sa loi. Avec ses exigences parfois sévères. C'est celle qui aime la vérité et qui dit comme (le prophète) Samuel: "Parle, Seigneur, ton serviteur écoute". Alors le Seigneur trouve le seul temple dans lequel il se complaise. Une hôtellerie où il fait bon demeurer. N'a t'il pas dit lui-même avec une infinie tendresse: "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, nous viendrons à Lui, et nous ferons notre demeure chez lui".  

Par Richard Andrzejewski

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